Depuis 30 ans, je travaille pour la paix entre Israéliens et Palestiniens, Arabes et Juifs, en animant des ateliers qui utilisent différentes approches, dont l’IFS. Mes collègues et moi-même pensons que « la douleur qui n’est pas transformée est transmise« . C’est pourquoi nous créons des havres de paix où les participants peuvent transformer leur colère, leur peur et leur douleur en compréhension et en empathie à l’égard de l’autre.
Puis est arrivé le 7 octobre…
Depuis le 7 octobre, nous avons animé plusieurs ateliers pour les personnes des deux « camps » qui éprouvent des réactions émotionnelles intenses aux événements survenus dans notre région. Nous avons également travaillé à la création d’une Armée de Guérisseurs dont l’objectif est de rétablir la confiance, de réveiller la compassion et de renforcer la capacité des Israéliens et des Palestiniens à vivre en harmonie et à œuvrer pour la paix par le biais de cercles de guérison dans tout le pays.
La guérison pour la paix est une branche de ce programme dans lequel des thérapeutes du monde entier, formés à l’IFS, se portent volontaires pour offrir des réunions de soutien individuel aux Palestiniens et aux Israéliens qui ont été affectés par le conflit, afin de les aider à retrouver la capacité d’être guidés par le Self. Vous trouverez ci-dessous un texte que j’ai écrit à la suite de l’invitation que j’ai reçue dans la lettre d’information de l’IFS à partager nos histoires et nos ressentis. J’espère qu’il offrira une petite fenêtre sur la réalité complexe de ma vie ici en Israël.
Néanmoins,
Ma voisine de 23 ans, qui a été blessée et enlevée par le Hamas le 7 octobre, est retenue en otage dans un lieu inconnu, probablement souterrain, depuis plus de 177 jours. Son père se réveille tous les matins et se dit, ainsi qu’à tous ceux qui l’entourent, « c’est aujourd’hui qu’elle sera libérée ». En attendant, il fait tout ce qui est en son pouvoir, chaque jour, en Israël et à l’étranger, pour la ramener vivante à la maison. Plusieurs membres de la famille de mes amis et collègues palestiniens ont été tués ou blessés à Gaza, d’autres tentent de s’enfuir et doivent recourir au financement participatif tant le prix demandé par les Égyptiens et les Palestiniens qui contrôlent les tunnels est élevé.
Vivian Silver, ma collègue et amie œuvrant à la construction de la paix, a été réduite en cendres le 7 octobre. Nous avons d’abord pensé qu’elle avait été kidnappée parce qu’il leur a fallu 36 jours pour déterminer que les os et les cendres restants étaient les siens. J’ai entendu des membres de mes groupes qualifier mon pays tout entier de Palestine occupée, d’autres ont déclaré qu’aucune violence sexuelle n’avait été commise le 7 octobre, un jour après que la représentante spéciale des Nations unies ait annoncé qu’elle avait trouvé des preuves claires et irréfutables que des violences sexuelles avaient été commises le 7 octobre, en différents lieux, par le Hamas.
Certains membres de nos groupes ont déclaré qu’ils pensaient que les Force de défense d’Israël étaient comparables au Hamas, voire pires, et d’autres ont affirmé qu’il n’y avait pas de personnes non impliquées dans la bande de Gaza. Mon cœur s’est serré lorsqu’un Palestinien a pleuré à la fin de son intervention : « Quand allez-vous enfin reconnaître notre douleur et ce que nous avons enduré, et reconnaître que nous avons des droits, tout comme vous ? » Parce que c’est tellement vrai que tout le monde ici, tout le monde, mérite d’être reconnu, d’être en sécurité et de jouir des droits de l’homme les plus élémentaires.
J’ai entendu plusieurs Israéliens assumer la responsabilité de l’occupation et jurer de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour changer ce gouvernement, dont l’agenda est à des années-lumière de toute possibilité de paix. D’autres Israéliens refusent de regarder ou de ressentir l’horreur de la dévastation de Gaza parce qu’ils pensent que c’est le seul moyen de nous protéger contre le Hamas qui reproduira un 7 octobre sans cesse, ainsi qu’il l’a dit. Je n’ai pratiquement entendu aucun Palestinien de nos groupes s’élever contre ce que le Hamas a fait et continue de faire aux civils palestiniens de Gaza, ou contre le rôle de l’islam radical et de l’Iran dans ce qui s’est passé, non seulement ici, mais aussi dans plusieurs parties du monde.
La plupart du temps, j’entends dire qu’Israël est responsable de tout. Près de chez moi, où mes voisins immédiats sont une famille musulmane et la maison d’à côté une famille chrétienne, les bombardements du Hezbollah se poursuivent chaque jour. Mes amis qui vivaient encore plus près de la frontière avec le Liban n’ont pas pu rentrer chez eux depuis près de six mois.
Hier, j’ai vu un petit Palestinien de Gaza âgé de cinq ans, dont toute la famille a été tuée, debout au milieu des décombres, les lèvres tremblantes, disant que tout ce qu’il souhaitait pour le ramadan, c’est que ses parents rentrent à la maison.
Mes parties sont constamment déclenchées par la peur, le désespoir, la colère et une profonde tristesse, un besoin de faire le deuil pendant des jours et des jours. Parfois, j’ai l’impression que rien de ce que je fais ne fait de différence. Les forces qui poussent à la polarisation, à la violence et à la guerre sont trop puissantes.
Mais la photo de Vivian Silver revient sans cesse sur ma page Facebook. Je regarde ses yeux, son sourire, je me souviens de ses cendres et des femmes et des hommes israéliens et palestiniens qui ont partagé des histoires si douloureuses et qui se serrent maintenant les uns les autres dans les bras à la fin de nos réunions.
Et je continue. Un pas après l’autre. Jour après jour.
Nitsan Joy Gordon
Directrice de « The Together Beyond Words Organization »Nitsan Joy Gordon, lors d’une conférence à Quinnipiac University (USA), 2023.
Nitsan est thérapeute et cofondatrice de l’organisation à but non lucratif Together Beyond Words (TBW). Ses expériences de vie — grandir dans un kibboutz israélien frontalier plein de dangers et d’escarmouches violentes, faire face à la haine dans le sud des États-Unis en tant que seule juive dans son collège, et trouver dans la danse un moyen de surmonter ses traumatismes — l’ont poussée dans une quête de 30 ans pour donner aux femmes les moyens de construire la paix et de transformer les préjugés entre Arabes et Juifs, Israéliens et Palestiniens. Elle a cofondé Together Beyond Words (TBW), une organisation pour la paix qui rassemble des femmes musulmanes, juives, bédouines, druses et chrétiennes, dans le cadre d’un processus dynamique, pour guérir les blessures anciennes, retrouver les forces cachées et promouvoir la compréhension émotionnelle.
“Aujourd’hui, notre pouvoir en tant que femmes”, explique l’autrice, “n’est plus en sommeil. En nous libérant de divers degrés d’asservissement et en nous unissant dans le monde entier pour appeler au changement, nous pouvons également devenir les alliées des hommes dans leur propre libération du cœur”.
Son livre « Together Beyond Words – Women on a Quest for Peace in the Middle East« , publié en 2023 en anglais, est actuellement en cours de traduction en français. Son site : beyondwords